Potomitan

Site de promotion des cultures et des langues créoles
Annou voyé kreyòl douvan douvan

Si triste est ma chanson

André Fouad

Publié le 2020-11-16 | Le Nouvelliste

Jacques Roumain

ʺSimityè
Simityè
Simityè plen moun o
Se pa Bondye ki touye yo…"

Cette chanson traditionnelle, qui existe depuis la nuit des temps, m’interpelle en cette saison d’automne où les feuilles mortes se ramassent à la pelle; où le sang coule à flots dans mon île de plus en plus vulnérable.

Il pleut du sang dans les rues. Il pleut du sang dans les foyers, il pleut du sang, des cadavres dans la cour de nos écoles, de nos universités. Les images sur la Toile de ce jeune étudiant finissant à l’École normale supérieure abattu froidement est une preuve tangible de ce  mal-être, de ce profond malaise qui nous habite depuis la proclamation de notre indépendance, le 1er janvier 1804.

Hier, ce fut le romancier Jacques Stephen Alexis aux mille couleurs, aux mille vestiges, homme de grande culture et de vision. Ce fut aussi Richard Brisson, homme de théâtre qui croyait en des lendemains qui chantent, poète têtu qui scandait à qui veut l’entendre: ʺMange ton pain pendant qu’il est encore pain, par les temps qui courent, il ne faut pas remettre à demain ce que tu peux manger ce soir, car le grand chambardement est peut-être pour cette nuit. À l’aube, qui sait, si le pain ne sera pas fusil, la soupe, poison, le feu, sang…"

Ah! Ce soir, je reste figé entre les quatre murs de mon nouvel appartement dans le sud de la Floride. Mon ordi, témoin de mes fantasmes, de mes cris, de mes colères, de mes révoltes me tourne en dérision. Il tarde à s’allumer. Je suis sous le coup de chocs. Les news ont l’odeur de cimetière, des tombes… l’ombre des quariers. L’ombre des assassins. Tant d’ombres me font si peur que j’ai du mal à respirer, à écrire, à naviguer sur le navire du rêve.

Enfin, j’essaie de remonter le temps, en pensant à ces artistes connus ou pas, broyés par le temps, broyés par un système injuste, inhumain, qui revendiquaient une seule chose, le droit d’exister, le droit de rêver; le droit de rêver de la naissance d’autres fleurs, d’autres arcs-en-ciel, d’autres chants d’amour.

N'est-ce pas René Char, poète aux accents surréalistes français tout comme André Breton, Paul Eluard qui écrivait qu’un rêve sans étoiles est un rêve oublié?

On ne saurait oublier si tôt les poètes Jacques Roche, Farah Martine Lhérisson, Whilems Edouard, le comédien François Latour, le maquilleur Maikaidou et pourquoi pas les peintres Charles Obas et Steevenson Magloire?

Il pleut du sang un peu partout dans les rues de mon pays. Il pleut des cadavres. Il pleut des chansons tristes sur mes lèvres en relisant "Gouverneurs de la rosée" de Jacques Roumain, ʺDezafi" de Franckétienne, ʺKonbèlann" de Georges Castera ou en écoutant ʺVèse san" du chanteur engagé Manno Charlemagne.

Que nous arrive-t-il? Pourquoi on est arrivé à ce carrefour où l’on côtoie l’incertain, le désenchantement, la laideur, la barbarie au quotidien? Si triste est ma chanson à l’aube de cette nouvelle saison qu’est l’automne, si différente, si spéciale aux refrains de Covid-19 et de feuilles mortes comme le chante si bien Yves Montand grâce aux paroles signées du poète Jacques Prévert.

*

Viré monté