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Martinique:
Les serpents ne sont pas les seuls à lancer du venin

Daniel Boukman

Avant d’autopsier quelques-uns des propos fielleux  visant ceux des Martiniquais ayant fait le choix de l’autonomie, en guise de réponse à l’actuel Président de la République française, ce qui suit. 

Monsieur le Président, il est un droit inclus dans la Charte de l’Organisation des Nations - Unies, celui des peuples1 à disposer d’eux-mêmes… En ce qui nous concerne, nous Martiniquais, ce droit inaliénable à l’autodétermination s’inscrit dans le cadre d’une géométrie variable qui va du statu quo départemental jusqu'au choix d’un statut de souveraineté n’excluant pas l’établissement de relations d’intérêts et de respect mutuels entre, d’une part, le peuple qui décide de rompre les liens de dépendance auxquels il était soumis, et d’autre part, l’État français.

Lors de votre discours du 26 juin 2009 à l’occasion du baptême de l’aéroport Aimé-Césaire- Martinique, vous avez déclaré «Tant que je serai Président de la République, la question de l’indépendance de la Martinique, c'est-à-dire de sa séparation d’avec la France, ne sera pas posée.» Mais Monsieur le Président, permettez-moi de vous dire que vous enfonciez là une porte ouverte dans la mesure où les organisations patriotiques martiniquaises ont maintes fois précisé que la question de l’indépendance n’est pas à l’ordre du jour.

Vous avez affirmé avec force que pendant le restant du temps (3 ans) de votre présidence (et sans doute, de 2012  à 2017, si vous étiez réélu) durant donc les huit prochaines années, la question de l’indépendance (de la Martinique) ne sera pas abordée.

Iriez-vous jusqu’à décréter que terminée, l’Histoire de la Martinique et de son peuple est terminée?… Sauf à vous prétendre devin, savez-vous, dans les temps futurs, savez-vous quelles limites les revendications - politiques - des Martiniquais pourront atteindre? Un de nos proverbes créoles dit ou wè jòdi, ou pòkò wè dèmen.

Lors de votre récent séjour dans notre pays, vous avez lâché un flot de paroles dont il convient - rayi chien men di dan’y blan - de retenir la pertinence de quelques-unes2. Mais bien naïfs seraient ceux d’entre nous qui attendraient de vous un discours qui ne soit pas en droite ligne de votre parti pris d’homme français promoteur d’un néo-libéralisme. Un autre de nos proverbes dit chat pa ka fè chien!

Quant à ceux qui insinuent ou déclarent ouvertement que les partisans du changement institutionnel que permet l’article 74, font allégeance à l’actuel Président de la République que vous êtes, ces badjolè oublient ou feignent d’oublier que, pour transformer la réalité, il convient de la respecter, et c’est respecter, pour la transformer, notre réalité (des temps présents), que, forts de cette légitimité démocratique que leur confèrent les urnes, les Président du Conseil Régional et du Conseil Général, faisant fi de la couleur politique de l’actuel Président de la République française, entrent en négociation avec lui3.. Mais le badjolaj, cette version créole du parler inutile, ne constitue que l’une des cartes du jeu de poker menteur que se complaisent à jouer les défenseurs d’une Martinique immobile.

Les épouvantails de la peur

Il y a aussi ceux qui s’évertuent à vouloir faire peur, tel l’ineffable Yves-Léopold Monthieux proclamant que certains élus ayant voté pour le 74 chuchotent que «la salle du Congrès des élus est un lieu où l’on a peur. Où l’on fait peur».4

Entrons un instant dans le délire de nostrom qui affirme que, lors des séances du Congrès,  les élus ont peur, «en particulier ceux qui s’accrochent à leurs mandats ou à leurs présidence»; Le Président du Conseil Régional et celui du Conseil Général, parce qu’ils avaient peur que les résolutions du Congrès fussent soumises à un vote secret, ont décidé d’avoir recours au vote à main levée5.

Et notre spécialiste pourvu d’un radar détecteur de frayeur, avance que la peur qui sévit dans la salle du Congrès «fait peur à de nombreux Martiniquais» contaminés en quelque sorte par «toutes ces peurs qui se manifestent ouvertement sous leurs yeux de téléspectateurs»6

En définitive, un tel discours considérant les Martiniquais comme une troupe d’enfants craintifs, pareille rhétorique bâtie sur l’idée obsessionnelle de la peur, seule la psychanalyse pourrait en diagnostiquer les causes profondes.

Le mépris et ses avatars

On passe des dealeurs de la peur à ceux qui cultivent le mépris quand, sournoisement, le prolifique Claude Gilbras écrit «En fait de quoi avons-nous peur? Non du changement statutaire mais du nouveau lieu du pouvoir revendiqué localement, qui montre, depuis la réunion du Congrès du 18 juin 2009, qu’il ne conduirait ni à la dignité ni à la  responsabilité, bien au contraire»7

Autre variante du mépris, la condescendance teintée de paternalisme d’essence néo-coloniale… Après avoir déploré que, suite au mouvement social de février 2009, les élus n’aient pas adopté un moratoire, Thierry Michalon, maître de conférence honoraire à la faculté de droit et d’économie de la Martinique, dans un article intitulé «Pourquoi aller au casse-pipe?», ce monsieur venu du froid proclame sans vergogne «qu’aucun groupe n’ait proposé et soutenu un tel moratoire, en dit long sur l’état de la liberté d’expression dans la Martinique d’aujourd’hui et sur la faculté avec laquelle peut s’évanouir la démocratie dans une micro-société»8

Jet de venin: Chantal Maignan, secrétaire départementale de l’UMP, visant les Présidents du Conseil Régional et du Conseil Général, écrit «avons-nous confiance dans la probité de ceux qui nous gouvernent au point de leur confier le destin de notre terre et qui engage aussi les générations futures?»9

Avec Yves Bertiner, le mépris devient haine et la haine calomnie «La rue ne prête pas de sincérité aux politiques. Elle n’a pas foi en leurs compétences de gestion autonome des affaires publiques, pense et dit qu’ils œuvrent bien plus pour leurs propres intérêts et ceux de leurs parents, amis et alliés que pour ceux supérieurs du pays»10

Le mensonge, ce monstre protéiforme

Chapelet de mensonges proférés par le même Bertiner lorsque, sous le couvert d’une fausse question, il se demande si «ce projet d’évolution institutionnelle en article 74 (…) ne sera-t-il pas créateur d’impôts nouveaux destinés à régler par exemple les 40% des fonctionnaires ou encore les prestations des RMIstes payés par un État qui se fera un plaisir de responsabiliser les finances de la collectivité autonome en glissant ces encombrants dans sa trésorerie?»11

Même volée de sons de cloche félée dans la bouche de Gérard Marraud des Grottes (au fait, parle-t-il au nom de son clan?) «Les fonctionnaires chez qui on trouve une majorité de sympathisants de l’autonomie, (situation assez paradoxale puisque c’est mordre la main de l’État français qui les nourrit) savent-ils que dans le cadre de l’article 74, l’État français ne prendra plus en charge leurs retraites ni même leurs salaires au-delà de leur niveau du jour de sa mise en place?»12

Et si la secrétaire départementale de l’UMP était un Pinocchio en jupons, parce qu’elle use d’un énorme mensonge, son nez grandirait jusqu’à la lune, quand, possédée par sa manie de discréditer les Présidents Marie-Jeanne et Lise, elle dit «faut-il pour réussir à relever ce pays, un drapeau, un hymne martiniquais, des ambassadeurs dans la Caraïbe?»13

Décidemment, en Martinique, les serpents ne sont pas les seuls à lancer du venin…Semer la peur, diffuser le mensonge, distiller la calomnie… tels sont quelques-uns des procédés qu’utilisent les champions de l’immobilisme institutionnel et autres partisans du renvoi à plus tard de ce que l’on peut faire dès aujourd’hui.

Daniel  Boukman (écrivain)

 PS : Cet article sera suivi d’une seconde partie pour dire pour quelles raisons, en tant que citoyen/ne digne et responsable, il est pertinent de choisir l’article 74 qui permet, au sein de la République française,  une avancée positive vers l’autonomie.

Notes

  1. L’article 72.3 de la Constitution française, à propos du peuple martiniquais, fait mention de  «population d’outre-mer». Face à la  réalité objective qui est la nôtre, cette appellation juridique perd toute légitimité.
     
  2. Parmi  les propos du Président de la République française, à retenir «Il est, par exemple, inexact de prétendre qu’une collectivité qui ferait le choix de l’article 74 de la Constitution, sortirait des frontières de la République» Ou encore «Il est aussi inexact de prétendre qu’une collectivité qui ferait le choix de l’article 74 de la Constitution perdait sa qualité de Région Ultra Périphérique ainsi que les avantages qui lui sont associés»
     
  3. Quand il s’agit de discuter du devenir de notre pays, les responsables martiniquais démocratiquement élus par le peuple martiniquais ont le devoir d’entrer en négociation avec le représentant de l’État français, que celui-ci soit issu de l’UMP, du PS, des VERTS, du PC, du MODEM, du NPA voire même de l’extrême droite,  mais que les dieux des urnes nous préservent de cette éventualité!
     
  4. In FA 04.06.09
     
  5. Idem.  A préciser que le vote à main levée est une pratique courante au Parlement français.
     
  6. Idem.
     
  7. FA 15.07 .09
     
  8. FA 07.07.09
     
  9. FA 19.06.09
     
  10. FA 17.07.09
     
  11. Idem….L’article 72.2 de la Constitution française stipule que «Tout transfert de compétences entre l’État et des collectivités territoriales s’accompagne de l’attribution de ressources équivalentes à celles qui étaient consacrées à leur exercice. Toute création ou extension de compétences ayant pour conséquence d’augmenter les dépenses des collectivités territoriales est accompagnée de ressources déterminées par la loi». Ces dispositions concernent  les territoires qui font le choix de l’article 74.
     
  12. FA 19.06.09  
     
  13. FA 19.06.09…    Contrairement à ce que Chantal Maignan essaie de faire croire, dans le cadre de l’article 74, il n’est pas question de réclamer de l’État français  ni «un drapeau», ni «un hymne [national] martiniquais» ni «des ambassadeurs dans la Caraïbe».De tels attributs relèvent de la compétence d’un pays in-dé-pen-dant.

 

Viré monté