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L’appel de Christchurch à Paris: la haine en réseaux

Khal Torabully

14 mai 2019

Ce 15 mai se tiendra à Pairs un événement historique, réunissant Jacinda Ardern et Emmanuel Macron, deux jeunes dirigeants décidés à lutter contre la haine 2.0. En effet, suite aux attaques terroristes de Christchuch faisant 51 morts et de nombreux blessés, une évidence s’est imposée. La haine de l’autre, notamment l’islamophobie, se sert de l’outil numérique non seulement pour radicaliser, diffuser des contenus racistes et suprématistes, mais aussi pour tuer et relayer les attaques terroristes, afin d’inspirer d’éventuels tueurs.

On se rappelle que le terroriste australien (je tairai son nom à l’instar de Jacinda Ardern) a avoué s’être radicalisé par le biais d’internet, puis lors de ses voyages en Europe. Il a minutieusement préparé ses actes de terrorisme en utilisant 8Chan et posté ses intentions de tuer les musulmans de Christchurch, et réalisé un livestream sur facebook, qui a recueilli des milliers de vues et des messages l’encourageant à tuer davantage. Il a diffusé des copies de son acte terroriste sur des sites tels que: Mega.nz, AnonFile et Zippyshare. C’est dire que si l’attaque n’est pas relayée et amplifiée par les réseaux sociaux, l’auteur risque de donner un coup d’épée dans l’eau et de ne pas gagner en notoriété, nuisant à la propagation de son idéologie de haine. Le lien fort entre le message et l’action violente est exprimé par le tueur australien sur son post précédant le massacre: «Allez, arrêtons avec le «shitposting» (que nous traduirons par pourriel), il est temps de faire un post dans la vie réelle». Il utilise le même mot, «post» exprimant à la fois haine virtuelle et terrorisme.

La PM néozélandaise, elle-même, a récemment admis être tombée par hasard sur ce livestreaming diffusant la mort en direct, avant de demander qu’il fût retiré de l’internet. Elle a rapidement contacté les responsables de Twitter, Google et Facebook, parmi d’autres, pour que l’on réglemente la diffusion de la haine sur les réseaux sociaux. Le massacre de Christchurch le 15 mars 2019 a changé la donne: le crime doit être traqué sur les réseaux sociaux.

Même si certains doutent de la capacité des opérateurs des réseaux sociaux à contrôler le contenu mis en ligne, pour lutter contre la haine de l’autre, le racisme, l’islamophobie et l’antisémitisme, tout le monde s’accorde à dire, sans savoir encore trop comment, qu’il est temps de considérer la question. D’autant plus que cette pratique permet la constitution d’une internationalisation du terrorisme, qu’il soit celui de l’islamisme ou du nationalisme et du suprématisme blancs. C’est cette tâche que Jacinda Ardern, Emmanuel Macron, Mark Zuckerberg et quelques grands noms du net confronteront à Paris demain. Avant cette réunion, aujourd’hui même, Facebook annonce avoir supprimé 23 comptes (totalisant 2.5 millions de fans) de Matteo Salvini, les accusant de véhiculer des fausses informations et du contenu haineux. Facebook avait déjà fermé les comptes d’autres prédicateurs de la haine.

Un modus operandi transnational

Même si certains ironisent sur la tâche herculéenne en vue, rappelant l’opération des tonneaux de Danaïde face à la puissance exponentielle de la diffusion des messages terroristes menant, parfois, à des morts dans la réalité, cette «police» des contenus me semble utile. Même si Ardern est consciente de la difficulté de la tâche, elle veut commencer par quelque chose de modeste. Par exemple, prévenir la diffusion des massacres terroristes en direct, par le livestreaming sur Facebook, comme celui réalisé par le terroriste de Christchurch. Les opérateurs devront se pencher sur l’élaboration des outils de surveillance. Le but n’est pas de limiter la liberté d’expression mais de prévenir que celle-ci ne serve de cheval de Troie pour enrayer les systèmes démocratiques et menacer l’harmonie sociale dans un monde de plus en plus globalisé, créant des réactions de haine et de repli sur soi. Cette équation entre liberté d’expression et protection des vies et des libertés constituera un des goulots d’étranglement de l’exercice du 15 mai, mais je gage que, même si l’éléphant du net accouche d’une souris virtuelle, au moins, ce sera la première fois dans l’Histoire contemporaine qu’une telle volonté a fait surface entre deux pays éprouvés par des attaques terroristes sanglantes.

Rappelons que ce n’est pas la première fois qu’un état saisit Facebook, par exemple, pour prévenir le déferlement de la haine. Citons le cas de ce restaurateur juif à Berlin, qui en 2016, au 70ème anniversaire de la nuit de cristal, a vu son restaurant affiché sur une carte «les juifs parmi nous» en caractères gothiques jaunes, diffusée par un groupe néo-nazi qui avait listé tous les business et institutions juifs de la ville. Celui-ci contacta Facebook à plusieurs reprises, sans réaction, avant que la ville et le gouvernement allemand ne demandent à Facebook de retirer ce contenu, de supprimer la page de l’extrême-droite et de surveiller les contenus mis en ligne à travers son réseau. L’Allemagne, en ce sens, a montré la voie pour le contrôle du contenu de haine sur les réseaux sociaux.

Pour revenir à Christchurch, le tueur a lui-même avoué qu’il s’est radicalisé en ligne, comme beaucoup de «jihadistes» ou sympathisants de Daesh. Ces terroristes partagent un modus operandi similaire, même si leurs visées sont symétriquement opposées, l’un en voulant à tout «infidèle», l’autre à tout musulman, juif ou noir; les deux, cependant, prônant la terreur pour faire avancer leur cause, afin de pousser à une lutte armée ou guerre civile entre les communautés. Cette menace n’est pas que virtuelle…

On se rappelle qu’il y a à peine 2 semaines, un terroriste a ouvert le feu dans une synagogue à Poway, Californie. Ce jeune homme avoue s’être radicalisé sur le net. Comme le tueur de Christchurch, il dit avoir acquis ses bases idéologiques sur l’internet, y avoir posté un manifeste avant son crime. Les deux tueurs avouent avoir été inspirés par des sites identitaires de nationalistes et suprématistes blancs, dont Anders Breivik, qui avait tué 77 personnes en 2011, en Norvège, parce qu’elles préparaient l’invasion de l’Europe par des étrangers, et particulièrement, par les musulmans. Breivik avait forgé sa conviction sur le net et rédigé un manifeste raciste de plus de 1,000 pages, constitué d’un compendium résultant d’un copier/coller intense, qu’il a posté en ligne peu avant son massacre. Il avait placé la «barre haute» pour qu’on l’imite afin de faire le maximum de morts dans une attaque isolée.

Le tueur de Christchurch a, comme Breivik, rédigé un manifeste qu’il a aussi posté sur le net, expliquant, dans un discours dialogué, ses motivations, et invitant des tueurs blancs, comme Breivik l’avait fait, de l’imiter. Les deux sont motivés par la haine raciale, la dénatalité européenne, la crainte de voir s’évaporer leur identité atavique, blanche, qu’ils ne veulent pas voir adultérée par le métissage. Ils sont des émules des théories de la «remigration» mises en avant par Reynaud Camus, qui s’est défendu d’avoir inspiré le tueur de Christchurch, mais qui continue à diffuser des messages peu équivoques sur la haine de l’autre (l’extra-européen) sur Twitter, lui valant un procès à venir par La LICRA.

Le net, n’en doutons pas, continue à relayer ces messages anti-migrants, anti-juifs, anti-musulmans, anti-noirs…

On a un cheminement semblable entre les terroristes qui surfent sur le net et tuent dans la réalité. Le tueur de Poway, rappelons-le, dit avoir posté un manifeste (en fait une lettre expliquant son geste) et tenté un livestreaming par Facebook, comme le terroriste de Christchurch. Preuve de l’effet «contagieux» des réseaux sociaux, il dit avoir été inspiré par l’attaque terroriste de Christchurch, dont le modus operandi a été son modèle, indiquant clairement que du contenu en ligne au crime il n’y a qu’un saut dans «l’action héroïque». Dans le cas du tueur de Poway, au lieu de s’en prendre aux «musulmans violeurs» et se reproduisant comme des lapins, mettant en péril les blancs comme son inspirateur australien, il s’en est pris aux juifs perçus comme les organisateurs de la disparition de sa race (la même phobie de l’anéantissement des blancs) et les forces occultes dernière les finances, menaçant la civilisation occidentale. Ces trois exemples (Breivik, les tueurs australien et américain) démontrent bien une chose: l’internet favorise des échanges de procédés en ligne, comme c’est aussi le cas pour les émules de Daesh. Il permet, phénomène relativement nouveau, une internationalisation, un réseautage transnational de groupuscules qui peuvent communiquer entre eux, faire passer leurs messages de haine par-dessus les frontières et donner le sentiment qu’ils sont inattaquables, sévissant en toute impunité.

Il est donc temps, à la lumière de cette nouvelle réalité de la haine 2.0, que les gouvernements et les opérateurs du net réagissent contre la montée du fascisme qui met en péril les démocraties et agitent la guerre des races et des religions dans un contexte international qui nourrit les craintes d’un choc des civilisations prôné par les extrémismes.

A Paris, demain, Jacinda Ardern et Emmanuel Macron auront fort à faire pour que des limites à la fabrication et propagation des idéologies de haine, d’islamophobie, d’antisémitisme et du racisme soient esquissées, quitte à être étoffées, par la suite, afin de lutter contre des appels à peine déguisés de guerre civile ou de meurtre au nom des identités meurtrières sur les réseaux sociaux.

Avant le massacre, disait Ritty Pahn, «il y a une idée»… Il est indéniable que celle-ci est portée, voire catapultée, par le net, favorisant, souvent à son insu, une «politique» de la haine et de la violence dans le monde actuel…

© Khal Torabully, 14 mai 2019

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